29 septembre 1979

 

 

La Bergère d'Ivry

 

 

                     

La Bergère d'Ivry 

 

Remugles... il faut bien ouvrir les placards de temps en temps pour aérer le squelette qui s'y prélasse.

Dans cet épisode, le squelette a pour nom "Honneur de la Police"... mais attention, cette fois, le squelette n'est pas le cadavre. Sous cette curieuse appellation, une bande de tueurs fascisants a décidé de se substituer à la Justice. Une demi heure à peine après l'assassinat, l'AFP reçoit ce communiqué explicite:

"Pierre Goldman a payé ses crimes, la justice du pouvoir ayant montré une nouvelle fois son laxisme, nous avons fait ce que notre devoir nous commandait".

Pierre Goldman est maintenant mort depuis longtemps (1979). Il repose au Père Lachaise où, parmi les 15.000 personnes qui l'y ont accompagné, se fondaient aussi bien Azuquita, son pote (le roi de la Salsa), Samuel Becket ou un Jean-Paul Sartre claudiquant sur le pavé de la rue de la Roquette.

Ses tueurs justiciers n'ont jamais été inquiétés. Peut être l'époque voulait-elle que l'on renâclât à enquêter au sein même de l'appareil policier. Va savoir... Pourtant les relents nazillons des policiers du groupe "Légitime Défense" auraient pu éveiller l'intérêt des commissaires Ottavioli ou Leclerc. Mais non... tout passe, tout lasse. Alors... laisse béton. Bien sûr, rien ne prouve que ces assassins aient été des policiers... mais alors pourquoi cet "Honneur de la Police" ? ... et puis, rien ne prouve le contraire...

30 ans après, on imagine nos honorables tueurs. Retraités ventripotents en survêt' à rayures fluos radotant à voix basse sur leurs exploits du 29 septembre 1979. La bouteille de Ricard illumine la toile cirée de ses reflets absinthiques. Derrière eux, dans le cadre, sur la cheminée, une médaille du Mérite côtoie la photo où trois moustachus à plat ventre, prennent la pose à l'entraînement,  au champ de tir.  

S'ils ne sont pas morts, qu'ils crèvent!

 

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Qui était Pierre Goldman?

Il naît en 1944 à Lyon, des brèves amours de deux clandestins polonais activistes, juifs, résistants et communistes (quel cocktail !). Brèves amours: ils se séparent dès la Libération. En 1947, sa mère doit rentrer en Pologne, Pierre l'accompagne. Son père ne supporte pas l'idée que son fils grandisse dans un pays stalinien où tant de juifs ont été dénoncés et exterminés. Il organise alors le rapt de son fils avec des compagnons de Résistance et le ramène en France.  En 1949, la nouvelle compagne de son père devient alors sa mère "légitime" sinon biologique.

Dès l'âge de 15 ans Pierre rejoint les Jeunesses Communistes. Déjà, il est en lutte contre la progéniture des vichystes et autres cathos intégristes. Renvoyé de Michelet puis du collège d'Évreux, il obtient de son père son émancipation et poursuit seul ses études en candidat libre. Bac en poche, il s'inscrit à la Sorbonne, toujours en marge : en auditeur libre. Militant, il ne peut toutefois pas adhérer à la ligne politique des stals du PCF. A peine a-t-il reçu sa convocation militaire qu'il quitte la France. Il est dorénavant considéré comme "insoumis" (à l'époque, ça ne rigole pas avec le service militaire). Fasciné par les révolutionnaires des Caraïbes et d'Amérique du Sud, il décide de rejoindre la guérilla sud-américaine et s'embarque sur un cargo norvégien qu'il abandonne (sans ses papiers) pendant l'escale en Floride. Il passe la frontière mexicaine clandestinement et... se retrouve expulsé du Mexique vers la prison de San Antonio (Texas). Transféré à New Orleans, il est finalement réembarqué sur ce même cargo qui l'avait amené. Retour à la case départ: il est débarqué à Bergen (Norvège).

Il arpente l'Europe. En Tchécoslovaquie (d'un seul mot), DDR, Pologne où il retrouve sa mère qu'il n'a pas vue depuis si longtemps. Il rôde dans tous les ports (Rotterdam, Anvers, Amsterdam...) toujours avec l'espoir de rejoindre les révolutionnaires d'Amérique du Sud. Il finit par poser le pied à Cuba où il parvient enfin à intégrer la guérilla vénézuélienne qui le renvoie... à Paris en attente d'une mission (déc.1967). Sa condamnation par contumace (désertion) lui impose la clandestinité.  Il suit donc les évènements de mai 1968 à la radio en attendant la fameuse mission qui arrive enfin en juin. Il rejoint au Vénézuela le groupe armé dont il avait rencontré les membres à Cuba. Il partage leurs vies dans un combat perdu d'avance pendant quatorze mois. Désillusionné, il revient clandestinement à Paris en décembre 1969.

Au Vénézuela, il a peut être pris des habitudes... il commet son premier braquage en décembre 1969... quelques autres suivent... y compris une crèmerie ! L'enlèvement reste encore aujourd'hui une spécialité des latinos (cf FARC). Goldman envisage sérieusement l'enlèvement de Jacques Lacan (!) et de Jean-Edern Hallier (la rançon aurait probablement été moindre) mais il abandonne ces projets.

Durant cette période, il n'est pas le seul braqueur de Paris. Deux pharmaciennes ont été abattues boulevard Richard Lenoir (déc. 69). Arrêté en avril 1970 (par une balance qu'il se refuse de nommer) pour les différents braquages qu'il a commis, on lui impute également les deux meurtres. Déjà à l'époque, il faut du résultat... alors puisqu'il reconnaît les braquages, il est forcément l'auteur de celui des pharmaciennes. Tout le monde est content... à la PJ, on arrose sa capture au mousseux, le ministre (Lecanuet) est satisfait et le bon peuple respire... le parisien libéré.

En prison, où les premiers mois sont dédiés à sa condamnation pour désertion, il consacre ses quatre années de préventive à l'étude et à la lecture (Kant, Hegel...) et (bien sûr) à écouter la Salsa des îles. Il obtient sa maîtrise d'espagnol et sa licence de philosophie. Les mois, les années passent... Arrive enfin le "procès". Il a beau nier l'attaque du boulevard Richard Lenoir,  sans aucune preuve de sa culpabilité il est condamné "au bénéfice du doute" (sic) à la réclusion à perpétuité ! En 1974, la guillotine n'était pas encore rouillée... Hurlements, contestations, insultes... Lecanuet ne supporte pas. Il va même porter plainte contre "X" pour outrages à magistrats... pauvre Lecanuet.

Les témoins vaseux, l'absence de preuve provoquent un sérieux malaise dans la magistrature et l'indignation générale dans le pays. Les pétitions circulent. Le texte co-signé par (en vrac) Mendès-France, Ionesco, Françoise Sagan, André Cayatte, Philippe Sollers, Simone Signoret et beaucoup d'autres... relève qu'on n'a pas jugé les faits mais qu'on condamne sans preuve. En fait, ce n'est pas le braqueur qu'on a condamné, c'est le militant, l'intellectuel, le juif. On commence à se rappeler de Dreyfus.

Au delà de Pierre Goldman, ce sont aussi tous les "trublions" qui ont participé à la "chienlit" de Mai 1968 qu'on condamne.

En taule, le vaguemestre apporte à Pierre Goldman des centaines de lettres de soutien. Au milieu de ce courrier, il reçoit la lettre d'une jeune femme antillaise qu'il avait rencontrée avant son arrestation. Leur correspondance ne cessera pas, il l'épousera. Dans le même temps, il se lance dans la rédaction de "Souvenirs obscurs d'un juif polonais né en France / Seuil" qui provoque un tel malaise lors de sa parution (oct. 75) que la Cour de Cassation annule le jugement des Assises . Même Mitterrand s'en est mêlé. Avant même la révision du procès, il se déclare convaincu de l'innocence de Pierre Goldman quant aux meurtres du boulevard Richard Lenoir (Le Monde 27/04/76).

En avril 1976, deuxième procès... le 4 mai 1976, Pierre Goldman est déclaré innocent des meurtres du Boulevard Richard Lenoir. Il est libéré.

C'est ce second verdict qui n'a pas plu à "Honneur de la Police". C'est ce jour-là qu'ils (?) l'ont condamné à mort.

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Sorti de prison, Goldman entre à Libération comme journaliste. Sa passion pour les tropiques des Caraïbes ne l'a jamais lâché. Tous les soirs, il va s'imbiber de salsa ("du rhum dans les oreilles") . Il se joint même parfois aux salseros en jouant des tumbas.  A l'époque, la salsa s'écoute à la Chapelle des Lombards, au New Morning, à l'Escale... Dans le même temps, il rejoint le comité de rédaction des Temps Modernes et publie un roman (L'ordinaire mésaventure d'Archibald Rapoport / Julliard). Il a aussi besoin de se ressourcer... toujours aux Caraïbes. Il y améliore encore son créole qu'il parle déjà couramment et, comme toujours, s'explose à la salsa.

L'ivresse de la Liberté. Le bonheur aussi. Il a maintenant épousé sa correspondante antillaise, Christiane. Elle est enceinte. Ce 29 septembre 1979, elle est déjà en clinique, prête à accoucher. Comme d'habitude, Pierre Goldman a été écouter de la salsa jusqu'à l'aube. Il a même fait le bœuf avec son pote Azuquita qui est d'ailleurs venu dormir chez lui au petit matin.

Vers midi, Pierre émerge, il sort acheter ses journaux place de l'abbé Hénocque. Le commando l'y attend. Depuis quelle heure? Un des tueurs est planqué dans le hall de l'hôpital, un autre arrive par la rue des Peupliers, le troisième attend dans une "voiture rouge" (94) garée rue de la Colonie. A la première balle, de face, à bout touchant, Pierre a le temps de voir son meurtrier s'en aller puis revenir pour l'achever d'une seconde balle dans le dos. Une autre balle l'atteint dans le dos. Il meurt immédiatement. On retrouvera plus tard une quatrième balle dans la vitre d'une banque. Le sang coule devant l'hôpital inutile.

Une demi heure après, le commando "Honneur de la Police" revendique le meurtre auprès de l'AFP.

Quelques heures plus tard, Christiane, sa femme, accouche de leur enfant. Pierre n'aura pas connu son fils, Manuel. On écrit ces lignes un 29/09... bon anniversaire Manuel.

Le commando "Honneur de la Police" n'a jamais été inquiété... en tout cas, pas par la police nationale, ni par la police judiciaire, ni par la police des polices... l'honneur est sauf.   

 

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