Très jeune, Jean-Baptiste Clément quitte le
giron familial
(son père est pourtant un minotier cossu de Boulogne sur Seine).
Né en 1837, il se fait embaucher, dès 14 ans, comme apprenti auprès
d'ouvriers bronziers.
Les ouvriers du
bronze ont une aura particulière. Ils sont parmi les premiers à se structurer et à déclencher des grèves...
en 1864, le "Manifeste des Soixante" exige une représentation ouvrière au
Corps Législatif. Ce manifeste est signé par 60 ouvriers dont Henri Tolain
(ciseleur sur bronze)
et Zéphirin
Camélinat
(lui aussi est
bronzier et travaille alors sur le chantier de l'Opéra de Garnier).
En mai 1864, le droit de grève est toléré... le Comité des Forges se crée
alors qu'ouvriers anglais et français s'unissent au sein de l'Association
Internationale du Travail... bientôt les syndicats ouvriers, sinon légaux,
sont admis. Il faudra quand même attendre 1884 pour qu'ils soient reconnus
officiellement.
En attendant, l'éducation politique
de Jean-Baptiste Clément est en bonnes mains. De bronzier il devient
journaliste et migre vers la Butte Montmartre. Ses écrits n'ont pas l'heur
de plaire à Badinguet
(Napoléon III)...
c'est vrai que
"à bas les
despotes!",
" à bas les
frontières"
et ses discours sur l'égalité sociale font grincer des dents dans les
salons où le petit empereur moustachu donne ses soirées mousseline. Il est plusieurs fois condamné...
En
1866, il n'a pas encore 20 ans quand il écrit
"le temps des
cerises".
Chanson prémonitoire ? A travers les "gouttes de sang tombant sous la
feuille" chaque communard survivant reverra longtemps ses frères de combat,
ses frères de barricades tombés sous le feu des chassepots.
Pourtant, le poème qu'il confie à
Antoine Renard (un ténor
reconverti dans le " caf 'conc ")
pour en faire une chanson n'est qu'une ode aux amours furtives que toute
génération a connu, connaît et connaîtra. Après le temps des cerises,
l'époque des noyaux ! Le texte est universel. Tout le monde s'y reconnaît.
Tout le monde fredonne la chanson où, par métaphore, le temps des cerises
figurera bientôt l'idéal de la Commune. Période pendant laquelle Jean-Baptiste Clément
se retrouve délégué. Il succède à Clémenceau comme
maire à Montmartre.
Après l'écrasement
sauvage de mai 1871, la métonymie des refrains se révèle évidente: "Mais il
est bien court le temps des cerises"... c'est hélas trop vrai... 72 jours.
On aimera toujours le temps des cerises, son souvenir et la plaie
ouverte qu'on en garde au cœur.
Au retour de son exil en Angleterre
(1882)
JB Clément a gardé le souvenir de la barricade de la rue Fontaine-au-Roi. Le 28
mai 1871, il y était avec Eugène Varlin. Il se souvient surtout de cette
ambulancière,
Louise, qui s'était démenée tout le temps des combats pour
récupérer les blessés. Il se souvient aussi qu'elle était tombée sous les
balles et qu'on ne pouvait pas aller la chercher sous le feu des chassepots.
Il en garde au
cœur une plaie
ouverte.
Onze ans après, en
souvenir, il dédie
le Temps des Cerises
"à la vaillante
citoyenne Louise".
Depuis, beaucoup pensent qu'il a dédicacé sa chanson à Louise Michel... mais
la Vierge rouge
(selon l'appellation versaillaise)
n'était pas ambulancière. Les deux
femmes partageaient simplement le même prénom.... et le même idéal.
1
Quand nous
chanterons le temps des cerises,
Et gai rossignol, et merle moqueur
Seront tous en fête!
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux du soleil au cœur.
Quand nous chanterons le temps des cerises
Sifflera bien mieux le merle moqueur!

2
Mais il est bien court, le temps des cerises
Où l'on s'en va deux cueillir en rêvant
Des pendants d'oreilles...
Cerises d'amour aux robes pareilles
Tombant sous la feuille en gouttes de sang...
Mais il est bien court, le temps des cerises,
Pendants de corail qu'on cueille en rêvant!
 |
Quand vous en serez au temps des cerises,
Si vous avez peur des chagrins d'amour,
Évitez les belles.
Moi qui ne crains pas les peines cruelles
Je ne vivrai pas sans souffrir un jour.
Quand vous en serez au temps des cerises
Vous aurez aussi des chagrins d'amour.
J'aimerai toujours le temps des cerises.
C'est de ce temps-là que je garde au cœur
Une plaie ouverte!
Et dame Fortune, en m'étant offerte,
Ne saurait jamais fermer ma douleur.
J'aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au cœur.
|
J.B.Clément (photo de Nadar vers 1900)

A la fin de sa vie,
Jean-Baptiste Clément ne se voyait pas toucher de l'argent pour une chanson
que ses compagnons de révolte avaient adoptée comme hymne à la Commune. On
dit qu'il en abandonna les droits
à Antoine Renard contre... une
pelisse. Il meurt à Paris en 1903.
Depuis,
la chanson est devenue universelle... enfin pour l'univers de ceux qui,
reconnaissant le chant d'un merle moqueur ou d'un gai rossignol se prennent à siffloter
le temps des cerises.

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